
Dans Mes nuits souciantes (2025) Alain Quesnel a voulu composer une installation à la fois intime et troublante, où chaque élément semble suspendu dans une tension silencieuse. L’œuvre se déploie dans la pénombre, révélant un espace mental où le spectateur est invité à s’asseoir — littéralement — face à l’amour, à la mémoire, et à l’inquiétude. Par une mise en scène rigoureuse et une économie de signes maîtrisée, l’artiste propose une œuvre immersive qui interroge les tensions entre mémoire, désir et solitude.
Au cœur de l’installation, une chaise dorée, isolée, fait face à une constellation de pages suspendues, extraites de L’Art d’aimer d’Ovide. Ce choix n’est pas anodin : Ovide, poète antique du désir et de la séduction, devient ici un guide spectral, ses mots flottant dans l’air comme des pensées inachevées ou des fragments de souvenirs. La suspension des pages évoque une lecture impossible, une quête de sens entravée par le temps ou l’angoisse. Le spectateur, invité à s’asseoir, devient lecteur contemplatif, pris dans une nuit où l’amour est à la fois présent et insaisissable et souligne la distance entre les injonctions du passé et les incertitudes du présent.
Sur les murs, des hameçons tridents accueillent des sachets d’eau fermés par du fil de cuivre. Ce dispositif, à la fois brutal et délicat, introduit une tension physique et symbolique. L’eau, élément vital et fluide, devient ici mémoire liquide, peut-être larmes ou réminiscences. Le fil de cuivre, conducteur d’énergie, relie chaque sachet à son hameçon, comme si chaque souvenir était électrifié, prêt à déclencher une douleur ou une révélation. Les hameçons, instruments de capture, suggèrent une violence latente : celle de l’attachement, du souvenir, ou de l’amour lui-même.
L’ensemble de l’installation joue sur le contraste entre la légèreté apparente (pages flottantes, sachets transparents) et la gravité des symboles (tridents, fil métallique, obscurité). Comme souvent dans ses interventions, Alain Quesnel a mobilisé des matériaux simples mais chargés de connotations (papier, métal, eau, lumière) pour construire un espace de réflexion où le spectateur est invité à projeter ses propres récits. Il interroge les nuits de l’âme, celles où le désir se mêle à l’inquiétude, où la lecture devient introspection, et où les objets du quotidien se transforment en métaphores puissantes.
Mes nuits souciantes articule une poétique de l’intime avec une rigueur formelle ; elle s’inscrit dans une tradition de l’installation narrative et psychique. Elle ne cherche pas à illustrer un propos, mais à le faire ressentir — dans le silence, dans l’attente, dans la suspension…
Nella Esquian – 2025 / Exposition Il suono delle pietre / Chapelle Sainte Anne Tours-La Riche 2025